POURQUOI ET COMMENT LA RUSSIE POURRAIT ÊTRE FATALEMENT AMENÉE Á ATTAQUER L’ARMÉE AMERICAINE DÈS CETTE ANNÉE.

 

La totalité des responsables et commentateurs occidentaux ne semblent pas avoir compris la réelle portée des demandes formulées par la Russie au mois de décembre, et accompagnées d’une précision en forme d’ultimatum au cas où elles ne seraient pas correctement reçues : « une réponse technique et militaire »[1] devrait être donnée en cas de désaccord, selon les propos de Vladimir Poutine.

Les Occidentaux ont l’air de croire que ce qui serait au cœur du problème serait la question de l’Ukraine, et que la Russie serait prête à l’envahir au cas où ce pays adhérerait à l’OTAN[2]. On voit actuellement tout un ballet de chefs d’Etat européens qui se trémoussent entre Kiev et Moscou, et prétendent travailler à une « désescalade », tandis qu’on continue à livrer des armes sous prétexte de « dissuader » la Russie - qui est tout de même la première puissance nucléaire du monde -, alors même que les forces armées américaines ainsi que les personnels diplomatiques s’enfuient à toute vitesse, de peur de devoir faire face à l’arrivée brutale de l’ours russe, démontrant ainsi, comme on l’a déjà dit plusieurs fois, que les Occidentaux sont prêts à se battre jusqu’au dernier soldat ukrainien.

Tout cela n’a absolument aucun sens, et les Russes le répètent inlassablement : le problème n’est pas l’Ukraine, mais l’attitude des États-Unis et de l’OTAN face à la Russie. C’est pour cela que Poutine ne s’est adressé qu’à ces deux entités, l’Europe n’ayant rien à voir avec la question. Il a proposé deux traités avec chacune des deux parties[3], et c’est d’elles seulement qu’il attend une réponse, qui ne vient pas. Et comme elle ne vient pas, la seule perspective qui demeure sur la table pour l’instant n’est rien d’autre que cette « réponse technique et militaire » dont Poutine a parlé.

Comment en est-on arrivé là, et de quoi s’agit-il exactement ?

C’est un euphémisme courant aujourd’hui de parler de « retour de la guerre froide » ; en réalité, la guerre, la vraie, a bel et bien commencé en 2014, lorsque les Américains ont provoqué un coup d’État en Ukraine[4], renversant le président légitimement élu, et provoquant ainsi une guerre civile à l’Est de ce pays, qui aurait déjà fait dans les 14 000 morts, lesquels, dans leur immense majorité - mais ça les médias occidentaux font semblant de l’ignorer - sont évidemment des russophones, des Russes ethniques, tués par les bataillons fascistes de Kiev, - aidés d’ailleurs en cela par les mercenaires américains de Black Water[5] -, même si l’on feint de croire qu’il s’agirait d’innocents ukrainiens victimes d’une pseudo intervention de l’armée russe.

Le point de vue très légitime des autorités russes est assez différent : les Américains n’ont pas hésité à lancer une guerre meurtrière contre des populations russes, sans le moindre scrupule, et sans craindre de réaction. Pire : cette attaque sert de prétexte à accuser la Russie elle-même, afin de souder les Européens contre elle, et autour d’une OTAN dont les Américains pouvaient redouter la « mort cérébrale », en l’absence de toute raison d’exister s’il n’y plus d’ennemi[6].

Mais l’affaire remonte à plus loin que ça, et les événements d’Ukraine s’inscrivent eux-mêmes dans une logique anti-Russe développée par les USA depuis longtemps, et qui remonte bien entendu à l’époque soviétique, la chute de l’URSS n’ayant pas changé grand-chose, bien au contraire, à la volonté des États-Unis de se débarrasser de ce dangereux concurrent.

Fondamentalement, les États-Unis ont deux très fortes raisons de vouloir la désintégration de la Russie, même après l’effondrement de l’Union soviétique.

La première tient à la puissance nucléaire de cette nation, qui est la seule au monde comparable à celle des USA, et la seule qui puisse leur faire peur. La Russie actuelle a hérité de l’arsenal soviétique, elle a parfaitement su l’entretenir, le moderniser, le maintenir à niveau, et même le développer au point qu’il est aujourd’hui le premier du monde, non seulement du point de vue du nombre de têtes[7], mais également du point de vue technologique, nous y reviendrons à la fin.

Cet arsenal fait de la Russie le seul pays au monde qui soit effectivement en état de fixer des « lignes rouges » aux USA, pour reprendre l’expression à la mode, et puisse lui opposer un « non » ferme sur telle ou telle opération. Dans la pratique, depuis l’effondrement de l’URSS, les États-Unis sont devenus de fait le gendarme du monde, capable d’imposer par la force sa politique dans n’importe quelle région de la planète : nous l’avons vu à maintes reprises ces 30 dernières années, en Yougoslavie, en Afghanistan, en Irak, en Libye… et cela allait continuer en Syrie si la Russie de Poutine n’était pas intervenue.

Le point essentiel qu’il faut bien comprendre est que, sans la Russie, les États-Unis seraient aujourd’hui en mesure d’imposer leur loi au monde entier sans que personne puisse discuter en quoi que ce soit. D’où la nécessité impérative de se débarrasser de cet empêcheur de régner en maître absolu sur la planète.

La deuxième bonne raison, assez différente, mais tout de même liée à la première, tient à l’immensité des ressources naturelles de la Russie, essentiellement situées en Sibérie. Cette gigantesque région, essentiellement désertique - la densité de la population y est inférieure à un habitant au kilomètre carré -, possède à elle seule presque 20 % des richesses naturelles de la planète[8] ; on y trouve tout : pétrole, gaz, or, diamant, uranium, métaux en tous genres, et surtout des terres rares ; le tableau de Mendeleïev au complet, et en abondance. Cette richesse est à la base de la puissance militaire de la Russie, dont le complexe militaro-industriel se nourrit abondamment et à très bon marché : pour l’armée comme pour l’industrie de l’armement, l’acier, l’essence, etc. sont disponibles à l’infini et à prix coûtant, c’est-à-dire pas grand-chose ; c’est ce qui explique que le pays ait pu s’offrir des milliers de têtes nucléaires ainsi que des dizaines de milliers de chars d’assaut avec des budgets militaires extrêmement limités.

D’autre part, ces ressources s’exportent évidemment très bien, fournissant au gouvernement des rentrées en devises abondantes, sûres, et régulières. Lorsque l’URSS s’est écroulée, les bons conseillers américains se sont évidemment précipités pour fournir leurs services éclairés à des dirigeants ex-communistes, et leur expliquer les principes fondamentaux du libéralisme qui devait leur apporter en 500 jours une prospérité aussi brillante que celle des USA[9]. Les imbéciles sont tombés dans le panneau - fortement aidés en cela par les bénéfices personnels qu’ils allaient en tirer, ainsi que par les masses de dollars que les Américains ont alors fait pleuvoir sur le pays. Ils se sont lancés dans une politique complètement folle de privatisation des grandes entreprises, en particulier celles touchant aux ressources naturelles, privatisations qui dans un premier temps devaient être réservées à des citoyens russes, mais qui dans un deuxième temps, si Poutine n’était pas arrivé au pouvoir, aurait fini par bénéficier aux multinationales américaines. Exxon louchait avec avidité sur le pétrole sibérien, et il s’en est fallu de très peu qu’il ne mette la main dessus[10].

En dehors donc des questions purement politiques et militaires, les intérêts financiers de ces multinationales convergent parfaitement avec les intérêts géostratégiques des États-Unis : pour ceux-ci, même après la chute de l’URSS et la fin du communisme, la Russie demeure l’État à abattre, simplement parce qu’il possède un arsenal nucléaire de premier ordre, ainsi que toutes les ressources naturelles nécessaires pour l’entretenir, quoi qu’il arrive.

Le désir des Américains de voir la Russie s’écrouler complètement est d’autant plus fort qu’il a failli se réaliser à la fin des années 90 : l’État était en faillite, il était incapable de payer les fonctionnaires, l’anarchie régnait dans le pays, les mafias et les criminels faisaient la loi, la guerre reprenait en Tchétchénie, l’armée semblait disloquée, et les services secrets incapables de prévenir des attentats islamistes en plein Moscou. Il s’en est fallu de très peu que l’État ne s’écroule, et que la Russie ne s’effondre. Les multinationales trépignaient déjà dans l’impatience de se partager le cadavre.

Mais l’Histoire en a décidé autrement, et ce Vladimir Poutine, que les oligarques eux-mêmes mirent en place parce qu’ils voyaient en lui un petit fonctionnaire minable dont ils feraient ce qu’ils voudraient et qui serait à leur botte, s’est révélé tout à coup et par miracle avoir l’étoffe d’un véritable chef d’État, il a redressé le pays en quelques années, l’a remis sur la voie de la prospérité, et lui a rendu sa place sur la scène internationale. La puissance russe est désormais restaurée.

Cependant, sitôt que la Russie, ayant touché le fond, a commencé à se redresser, et a sorti la tête de l’eau, la stratégie des États-Unis a été très claire : faire le maximum pour la faire resombrer dans l’anarchie. Le problème fondamental demeurait cependant que du fait même de son arsenal, il était impossible de l’affronter ouvertement et par la force. Il fallait donc trouver des stratégies détournées pour l’isoler, lui couper les vivres, susciter des troubles, et renverser le pouvoir.

La première étape a consisté à manger morceau par morceau l’ensemble de l’ex-espace soviétique, pour affaiblir l’industrie russe en la coupant de l’ensemble de ses partenaires historiques ; c’est ainsi qu’en trois vagues successives l’ensemble des pays de l’Est ont été accueillis à l’intérieur de la communauté européenne et de l’OTAN[11], les faisant ainsi passer du statut d’alliés à celui d’ennemis de leur grand voisin. Pour endormir la méfiance des Russes, les Occidentaux présentaient cet élargissement comme purement amical, et laissaient entendre que la Russie pourrait elle-même être accueillie, sinon comme membre à part entière, tout au moins comme alliée privilégiée, à l’intérieur de cette nouvelle alliance des Etats occidentaux ; c’est ainsi qu’elle fut admise comme membre du conseil de l’Europe et fut partie prenante du « partenariat pour la paix » conduit par l’OTAN[12].

Ainsi, jusqu’en 2014, les Russes n’ont pas compris quel danger représentait réellement pour eux cet élargissement incessant de l’OTAN qui semblait ne se rapprocher de leur frontière que pour les intégrer in fine.

La réalité de la duplicité des Occidentaux et des graves dangers qui les menaçaient leur a brutalement sauté aux yeux lors du coup d’Etat qui renversa le président légitimement élu de l’Ukraine, Victor Ianoukovitch, lequel entretenait des relations cordiales avec son grand voisin. Totalement désarçonnées par cette manœuvre qu’elles n’avaient pas vu venir, les autorités russes ont juste eu le temps de récupérer ce qui pour eux était une pièce essentielle : la péninsule de Crimée, avec Sébastopol, le principal port militaire russe sur la mer Noire, donnant accès à la Méditerranée. Décriée par les Occidentaux comme une annexion brutale et une occupation illégale, la possibilité du retour de la Crimée au sein de la fédération de Russie était en réalité dans les cartons depuis l’origine. Celle-ci avait été « donnée » à l’Ukraine par Khrouchtchev, - de manière totalement illégale -, au temps de l’Union soviétique, c’est-à-dire à une époque où cela ne signifiait pas grand-chose, l’Ukraine étant tout entière membre de l’union ; il ne s’agissait en réalité que d’un simple redécoupage administratif. Avec la dissolution de l’URSS et l’indépendance de l’Ukraine, la Crimée à son tour prit son indépendance, ce dont elle avait parfaitement le droit, exactement pour les mêmes raisons que l’Ukraine. Mais la Russie tenait à conserver celle-ci dans sa sphère d’influence, et imposa à la péninsule de demeurer dans l’alliance avec Kiev, avec le statut de république autonome, qui lui permettait de rester totalement maîtresse de sa constitution et de son avenir[13], et donc de prendre son indépendance quand elle le voudrait, et de retourner à la Russie si la nécessité se présentait. La Crimée était donc en quelque sorte la laisse en or avec laquelle la Russie tenait l’Ukraine attachée : si celle-ci quittait la sphère russe, alors elle perdait automatiquement la belle et riche péninsule.

Cette disposition était parfaitement connue des Américains, qui savaient exactement ce qui allait arriver en déclenchant le coup d’État à Kiev qui allait porter au pouvoir un de leurs hommes, Piotr Porochenko, désigné comme « our insider »[14] à Kiev par l’ambassadeur des USA, dans sa correspondance publiée par WikiLeaks. Les Américains portent donc seuls la responsabilité de la perte de la Crimée par l’Ukraine, mais leur propagande habile et massive a asséné partout dans le monde leur vérité très personnelle : la Russie avait annexé brutalement la péninsule, bien que la population se soit prononcée par référendum à 96,6 %[15] pour le retour à la mère patrie.

Cela permettait en particulier de faire de la Crimée un beau sujet de guerre : exploitée à fond depuis huit ans, la question de la péninsule justifie depuis toutes les sanctions économiques qui ont été prises dans le but d’étouffer économiquement la Russie. Car il y a un principe qu’il faut bien comprendre, qui est au cœur de toute propagande : il s’agit de jeter la confusion dans les esprits en brouillant la chaîne logique des causes et conséquences. Les USA n’imposent pas des sanctions contre la Russie parce qu’elle occupe la Crimée, mais elle accuse la Russie d’avoir annexé la Crimée pour pouvoir mettre des sanctions. L’objectif des Américains était clair, étouffer l’économie russe pour faire chuter Poutine – et on vit d’ailleurs Barack Obama éclater de rire en affirmant que l’économie russe était « en lambeaux »[16]. L’objectif semblait ainsi atteint. En réalité il ne l’était pas du tout, et le pays allait se redresser très rapidement.

Cependant, la conséquence essentielle que les Occidentaux ne comprirent pas, tellement ils étaient obnubilés par le résultat de leurs sanctions, était que les autorités russes avaient, elles, parfaitement compris désormais que les USA n’avaient pas d’autre objectif que l’écroulement de leur pays, et qu’il leur fallait prendre des mesures préventives.

De fait, la Russie se trouve depuis 2014 dans la situation suivante :

- la quasi-totalité de l’Europe de l’Est s’est laissée embrigader dans l’OTAN

- celle-ci désigne ouvertement la Russie comme un État ennemi

- elle n’a de cesse d’approcher ses bases du territoire russe

- elle parle ouvertement, bien que prudemment tout de même, d’intégrer l’Ukraine, et donc d’y installer des bases

- celle-ci exigeant le retour de la Crimée, la question pourrait servir de casus belli[17]

- les sanctions imposées par l’Occident visent à affaiblir autant que possible l’économie du pays

- à cela il faut ajouter l’activisme incessant de la CIA qui, en soutenant Alexeï Navalny, a de fait tenter de renverser Vladimir Poutine récemment par un mouvement de foule comparable à celui de Maïdan à Kiev[18] ; si la manœuvre avait réussi, les Américains auraient pris eux-mêmes les rênes du pouvoir.

Pour les autorités russes la conclusion est claire : les USA sont un véritable ennemi, extrêmement dangereux pour l’État russe tout entier, et il est devenu absolument nécessaire de les mettre hors d’état de nuire.

Comment faire cependant, quand on a en face la première puissance économique du monde, dotée de la monnaie qui règne dans la majorité des échanges, qui possède la plus puissante armée de la planète, qui maîtrise parfaitement les technologies les plus sophistiquées, dont le budget militaire se monte à près de 800 milliards de dollars, dont les services secrets, avec un budget de 85 milliards de dollars[19], sont capables de s’insinuer partout sur la planète, et qui donc semble gouverner de fait la planète entière ?

L’affronter directement est totalement impossible.

Restait donc la possibilité de découvrir d’éventuels points faibles, des talons d’Achille par où le géant pourrait être abattu, sans avoir à déclencher le feu nucléaire.

Or ces points faibles, les militaires russes en ont identifié clairement trois :

1 - l’abus de l’électronique dans tous les systèmes militaires occidentaux,

2 – la dépendance des armées à l’égard des satellites d’observation, de communication, de guidage des missiles,[20]

3 - la flotte américaine elle-même qui, si puissante paraisse-t-elle, n’en offre pas moins un nombre très limité - trois à cinq cents suivant ce que l’on prend en compte[21] - de cibles faciles à repérer et à identifier, et ne se mouvant qu’à une vitesse relativement lente.

A partir de 2014, les scientifiques militaires russes ont travaillé d’arrache-pied pour mettre au point les techniques nécessaires afin de pouvoir attaquer l’armée américaine sur chacun de ces trois points faibles, et depuis 2019 ces techniques sont parfaitement au point.

1 - il s’agit d’abord des systèmes de brouillage électronique Krasukha[22] qui mettent hors d’état de fonctionner tous les appareils utilisant de l’électronique, depuis le simple téléphone jusqu’au lance-missile ; les Russes sont passés maîtres aujourd’hui dans la maîtrise de ces techniques, qu’ils ont testées en particulier sur l’ USS Donald COOK avec succès ; ils les ont ensuite utilisées en Syrie pour créer des zones dites de déni d’accès A2/AD (Anti-Access/Area Denial) ; le perfectionnement de ces systèmes leur donnerait aujourd’hui une portée de 5000 km selon certaines sources[23].

2 - ensuite, les Russes ont mis au point les moyens nécessaires pour abattre des satellites même très loin de la terre, à 36 000 km, en orbite géostationnaire, là où se trouve la quasi-totalité des satellites d’observation militaire ainsi que de guidage ; ils en ont fait une brillante démonstration au mois de novembre[24], quelque temps avant que Vladimir Poutine ne lance son quasi ultimatum aux Américains, probablement à titre d’avertissement sans frais.

3 - et enfin, surtout, ils sont parvenus les premiers à mettre au point, avec plusieurs années d’avance sur les Américains, ces fameux missiles hypersoniques, capables de voler à des vitesses comprises entre mach 5 et mach 27 pour les plus rapides, en changeant sans cesse de direction, et en volant à une attitude assez basse pour être indétectables par les radars. Le plus redoutable d’entre eux, le missile Zircon, serait capable de briser un porte-avions en deux sans lui laisser le plus petit délai pour réagir[25]. En outre, un de leur principal avantage est qu’on peut les charger soit de têtes nucléaires, soit de charges classiques, au choix.

 Le missile hypersonique russe « Zircon » classé « impossible d'intercepter »

On voit donc clairement la stratégie globale de l’armée russe à travers les armes dont elle s’est dotée : il n’est pas question pour elle d’essayer d’affronter l’armée américaine de manière classique, char contre char, avion contre avion, navire contre navire, mais de la mettre totalement hors d’état d’agir dans un temps extrêmement court et par surprise. Il suffirait d’une attaque coordonnée de quelques dizaines de missiles SS 500, et quelques centaines de missiles hypersoniques pour, d’une part, rendre l’armée américaine totalement aveugle, sourde, et muette, et d’autre part expédier par le fond la totalité de sa flotte, le tout sans lui laisser la moindre possibilité de répondre, sans déclencher le feu nucléaire, et quasiment sans rien détruire, ni tuer aucun civil. Privée de sa flotte, et en particulier de ses porte-avions, l’armée américaine sera réduite à l’impuissance complète, et demeurera condamnée à stationner sur le territoire américain, sans plus pouvoir atteindre aucun autre État que le Mexique ou le Canada.

Or, à l’heure actuelle, si les Russes sont les seuls à maîtriser parfaitement ces techniques hypersoniques, les Américains les talonnent, et l’avance exceptionnelle acquise par les premiers ne va pas durer longtemps : en 2021, les seconds ont réussi d’après leurs dires trois tests[26], après en avoir raté deux ; il ne leur reste plus probablement que quelques petites mises au point avant de pouvoir passer à la production en série ; ils sont suffisamment sûrs aujourd’hui de leurs progrès pour avoir déjà envoyé un prototype en Allemagne afin que leurs hommes s’entraînent à s’en servir, et ils prévoient d’en déployer toute une batterie dès 2023 ; c’est le projet « Dark Eagle »[27].

De fait, les Russes ne disposent donc que d’une courte fenêtre temporelle, quelques mois ou une année tout au plus, pendant laquelle ils peuvent profiter de leur supériorité technologique pour se débarrasser définitivement de leur ennemi, sans que celui-ci puisse répliquer ; dès l’année prochaine, il sera trop tard. Pire : les capacités industrielles américaines leur permettront sans doute de produire ces missiles en bien plus grande quantité que les Russes, et ce sont eux qui pourront s’en servir pour les attaquer par surprise. Il y a donc urgence : où les Russes passent rapidement à l’attaque les premiers, et détruisent la flotte américaine en même temps que les quelques laboratoires essentiels du complexe militaro-industriel américain, de manière à les empêcher d’acquérir à leur tour la technologie de ces missiles, ou alors ils se trouveront confrontés à une menace bien plus redoutable que ce qu’ils ont connu jusqu’ici.

On comprend alors pourquoi Vladimir Poutine vient de lancer cet ultimatum aux États-Unis et à l’OTAN : de fait, le plus probable est que la décision des militaires est déjà prise, et que cet ultimatum n’est qu’une toute dernière tentative diplomatique, une toute dernière chance laissée aux Américains de prouver qu’ils ne veulent pas la guerre mais la paix, en leur laissant la possibilité de faire un réel geste de bonne volonté à l’égard de la Russie, en ramenant l’OTAN à ce qu’elle était en 1997. C’est très probablement là l’exigence minimale posée par les militaires russes avant de passer à l’action. On a d’ailleurs remarqué que Poutine avait exigé que les militaires eux-mêmes participent aux négociations sur les deux traités qu’il a proposés, ce qui en diplomatie constitue quelque chose de tout à fait exceptionnel, et un message très clair : si ces derniers ne sont pas satisfaits de la négociation, ce sont eux qui décideront des suites à donner.

On a remarqué également quelque chose de très rare et d’assez frappant : le soutien sans ambiguïté apporté à la Chine aux demandes russes[28], alors que celle-ci d’ordinaire ne se mêle pas des questions russo-américaines. Or la Chine fait également face aux États-Unis sur deux questions essentielles : celle de la mer de Chine et celle de Taiwan, où la situation est régulièrement très tendue. De plus, l’alliance AUKUS, qui unit désormais les USA, la Grande-Bretagne et l’Australie contre la Chine, et prévoit la construction de sous-marins nucléaires américains aux frais de l’Australie qui seront directement dressés contre l’empire du milieu[29], cette alliance a de quoi inquiéter fortement la partie chinoise, et la contraint à rentrer dans une alliance militaire objective avec la Russie, les deux États faisant également face à deux alliances militaires clairement dirigées contre eux.

Or il ne semble pas du tout que les Américains aient effectivement compris ni le sens des exigences de Poutine, ni la signification du ralliement de la Chine aux demandes russes, ni la dangerosité de la situation actuelle. À les entendre, comme à les voir faire, il suffirait dans leur esprit qu’ils se retirent temporairement d’Ukraine pour apaiser la colère de Poutine, et ils semblent s’imaginer que seule l’Europe pourrait éventuellement être mêlée à un conflit avec la Russie. Les Européens à leur tour semblent réagir comme si l’affaire les concernait au premier chef. Il n’en est rien : pour les Russes, la seule question véritablement importante c’est la menace américaine dont il leur faut se débarrasser au plus vite avant qu’elle ne devienne absolument impossible à maîtriser. Or les Américains se croient eux-mêmes au-dessus de toute possibilité d’agression, ils sont trop gros pour être menacés, l’idée même que le David russe puisse oser s’en prendre à eux directement ne leur vient même pas à l’esprit. C’est pourtant la seule chose à quoi leur adversaire travaille depuis huit ans.

Résumons donc clairement la situation :

1 - Il est devenu évident pour les Russes que l’OTAN constitue une alliance offensive menée par les États-Unis, et dont le but est de mener à plus ou moins courte échéance à l’écroulement de leur État, par tous les moyens.

2 - Ils disposent d’une grande supériorité technologique pour seulement quelques mois, qui pourrait leur permettre de se débarrasser de cet ennemi pour longtemps, voire pour toujours.

3 - S’ils ne profitent pas rapidement de cette courte fenêtre temporelle exceptionnelle, ils se trouveront rapidement dans une situation encore plus dangereuse et absolument ingérable.

4 - ils se sont probablement assurés du soutien de la Chine.

5 - S’ils se livraient à cette attaque foudroyante – « décapitante » sans être nucléaire,

A - elle ne leur coûterait à peu près rien, sinon le prix des missiles qu’ils ont déjà en stock,

B - l’économie mondiale ne subirait aucun dommage catastrophique, et le coût humain serait faible, y compris pour les USA,

C - la poursuite de la guerre par les USA serait quasiment impossible, et que ceux-ci répliquent par le feu nucléaire serait parfaitement absurde puisqu’il se retournerait immédiatement contre eux,

D - l’Europe entière n’aurait plus d’autre choix que de réorganiser sa sécurité sous l’égide de la Russie,

E - la Chine aurait les mains libres en Asie,

F - l’alliance russo-chinoise deviendrait le seul gendarme du monde.

 

On comprend donc ainsi très clairement ce que Poutine veut dire quand il parle de  « réponse technique et militaire » au cas où les Américains n’accepteraient pas les traités qu’il leur propose, et on se dit également que les militaires Russes doivent penser qu’ils auraient bien tort  - dans leur propre intérêt – de ne pas passer rapidement à l’action.

Les Occidentaux aujourd’hui n’ont plus que très peu de temps pour comprendre la gravité du danger, et s’engager à garantir la sécurité de la Russie, s’ils veulent éviter la troisième guerre mondiale.

 


[1] https://www.lexpress.fr/actualites/1/monde/poutine-promet-une-reponse-militaire-et-technique-en-cas-de-menaces-occidentales_2164792.html

[2] https://www.nato.int/cps/fr/natohq/topics_37750.htm & https://www.francetvinfo.fr/monde/europe/manifestations-en-ukraine/ukraine-ladhesion-a-lotan-nest-quun-pretexte-utilise-par-poutine-pour-envahir-le-pays-assure-l-historien-antoine-arjakovsky_4963113.html

[3] https://www.lemonde.fr/international/article/2021/12/17/la-russie-presente-ses-exigences-pour-limiter-l-influence-de-l-otan-et-des-etats-unis-dans-son-voisinage_6106489_3210.html

[4] https://www.youtube.com/watch?v=as37seKvm60

[5] https://www.lemonde.fr/europe/article/2014/05/11/des-mercenaires-en-ukraine_4414868_3214.html

[6] https://www.lemonde.fr/politique/article/2021/04/16/fini-les-illusions-de-l-apres-guerre-froide-le-retour-de-l-ennemi-nouvelle-realite-pour-la-france_6076978_823448.html

[7] https://www.lapresse.ca/international/europe/201306/19/01-4662860-la-russie-dispose-du-plus-grand-arsenal-nucleaire-au-monde.php#:~:text=La%20Russie%2C%20qui%20d%C3%A9tient%20avec,avec%20quelque%208500%20ogives%20nucl%C3%A9aires.

[8] https://www.advantour.com/fr/russia/economy/natural-resources.htm

[9] https://www.cairn.info/revue-herodote-2002-1-page-144.htm

[10] https://www.lesechos.fr/2003/10/larrestation-de-khodorkovski-gele-les-discussions-avec-exxonmobil-et-chevrontexaco-675962

[11] https://www.nato.int/cps/fr/natohq/topics_49212.htm

[12] https://www.cairn.info/revue-revue-d-etudes-comparatives-est-ouest1-2013-3-page-9.htm

[13] http://pierre-lamble.eu/la-constitution-de-la-crim%C3%A9e.php

[14] https://wikileaks.org/plusd/cables/06KIEV1706_a.html

[15] https://www.lepoint.fr/monde/referendum-en-crimee-le-rattachement-a-la-russie-plebiscite-a-93-16-03-2014-1801714_24.php

[16] https://www.latribune.fr/actualites/economie/international/20150121tribe0ee0016f/le-discours-sur-l-etat-de-l-union-d-obama-en-10-points.html

[17] https://actu.orange.fr/monde/videos/vladimir-poutine-si-l-ukraine-devient-membre-de-l-otan-et-recupere-la-crimee-par-la-voie-militaire-les-pays-europeens-vont-etre-entraines-automatiquement-dans-un-conflit-avec-la-russie-CNT000001JAFkJ.html

[18] https://www.lemonde.fr/international/article/2021/01/23/en-russie-appels-a-manifester-pour-alexei-navalny-malgre-la-menace-policiere_6067315_3210.html

[19] https://irp.fas.org/budget/

[20] https://www.cairn.info/revue-defense-nationale-2016-6-page-99.htm

[21] https://en.wikipedia.org/wiki/List_of_current_ships_of_the_United_States_Navy

[22] https://cf2r.org/rta/guerre-electronique-la-suprematie-russe/

[23] https://fr.wikipedia.org/wiki/Murmansk-BN

[24] https://www.francebleu.fr/infos/international/ce-que-l-sait-du-missile-russe-lance-pour-detruire-un-satellite-mettant-potentiellement-en-danger-l-1637076437

[25] http://www.opex360.com/2021/12/28/pour-un-responsable-russe-le-missile-hypersonique-zircon-sera-un-tueur-de-porte-avions/#:~:text=L'ex%2Dvice%20ministre%20russe,24%20d%C3%A9cembre%2C%20selon%20le%20Kremlin

[26] https://www.challenges.fr/monde/les-etats-unis-menent-des-tests-pour-le-developpement-de-missiles-hypersoniques_785941

[27] http://www.observateurcontinental.fr/?module=articles&action=view&id=3314

[28] https://www.lemonde.fr/international/article/2022/02/04/la-russie-et-la-chine-affichent-leur-opposition-commune-a-l-expansion-de-l-otan_6112330_3210.html

[29] https://asialyst.com/fr/2021/09/17/face-chine-asutralie-construire-8-sous-marins-nucleaires-avec-americains-etats-unis/