Pierre Lamblé

Conscience humaine et violence de l’État dans quelques mythes et œuvres majeures de la littérature occidentale,

ou

Παλιντροπος αρμονιη

L’ouvrage se situe dans la continuité des travaux de René Girard, depuis La violence et le sacré jusqu’à Achever Clausewitz, sur les rapports entre la violence sur laquelle les États se sont fondés et la conscience humaine, à travers quelques grands chefs-d’œuvre de la littérature qui vont de l’Antiquité jusqu’au XXe siècle, ces œuvres étant données a priori comme les meilleurs témoignages de l’activité de la conscience. La démarche générale de l’ouvrage est fortement inspirée des Leçons sur la philosophie de l’histoire de Hegel, mais la thèse d’ensemble est davantage animée par la philosophie de Bergson.

L'ouvrage comprend 15 chapitres répartis en quatre volumes :

I - L’enfance terrible des États comprend cinq chapitres consacrés à :

1 - trois mythes de fondation de cité : Caïn et Abel, Cadmos et les fils du dragon, Romulus et Rémus

2 - Œdipe-roi de Sophocle

3 - Antigone de Sophocle

4 – Electre, dans les trois versions de Eschyle, Sophocle, et Euripide

5 - la République de Platon

Ce premier volume étudie particulièrement quelques mythes de fondation de cité ainsi que les plus grands textes de la littérature grecque, de Sophocle à Platon, pour décortiquer la complexité des rapports conflictuels entre les exigences de la conscience individuelle et la toute-puissance d’un pouvoir arbitraire qui refuse par principe toute contradiction.

Extrait de l'introduction : 

           "Si, selon l’évangéliste, au commencement du monde fut le Logos, la parole créatrice et vivifiante de Dieu, selon les données anthropologiques réunies et synthétisées par René Girard dans La violence et le sacré, au commencement de toute société humaine fut la violence sacrificielle, l’unanimité de tous contre une victime innocente effectivement mise à mort.

            Or ce qui rassemble les hommes à l’origine de toutes les sociétés humaines, ce n’est pas la parole de Dieu, c’est la violence.

            Les sociétés, c’est-à-dire, selon l’étymologie, des ensembles de gens qui se sont alliés, ne se sont pas créées autour d’un projet positif, d’une volonté commune d’avancer vers un but défini, d’ériger quelque chose, d’un « pour », mais autour d’un « contre », de la nécessité ressentie d’éliminer physiquement un élément jugé malsain et polluant, susceptible de contaminer l’ensemble du groupe, et donc dangereux pour la survie de ce dernier. Et peu importait que l’accusation fût effectivement justifiée par un danger réel et des preuves tangibles : il suffisait que la mise à mort de l’individu ou des individus jugés polluants amenât un véritable soulagement chez les co-assassins, et rétablît leur sentiment de sécurité, pour que chacun se sentît rassuré, que la paix fût restaurée à l’intérieur du groupe, et que l’harmonie prétendument troublée fût rétablie."





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René Girard



 

II - L’ombre de César comprend quatre chapitres :

6 - les Commentaires de César

7 - Le prince de Machiavel, vs l’Anti-Machiavel de Fréderic II

8 - Macbeth de Shakespeare et Cinna de Corneille

9 - Candide de Voltaire, vs Leibnitz

Ce deuxième volume s’attache particulièrement à l’étude de la pensée et de l’action politiques de Jules César, et de son influence sur l’Europe de la Renaissance au XVIIIe siècle, en montrant comment la pensée de Machiavel, dont le but fondamental est de trouver une issue à l’aporie fondamentale dans laquelle le pouvoir politique s’enferme depuis l’origine même des États, a nourri toute la réflexion politique des XVIIe et XVIIIe siècle, de Corneille à Voltaire et Leibnitz, en passant par Shakespeare.

 

Introduction du chapitre VI :

        À l’opposé absolu de Platon, Caïus Julius César n’est pas l’inventeur d’une cité imaginaire qui se voudrait idéale ; il est au contraire le refondateur d’un empire qui existait avant lui, et auquel il a donné non seulement une nouvelle dimension, mais surtout une nouvelle structure étatique. Mais César n’est pas seulement un militaire de génie et un homme d’État exceptionnel, c’est aussi un écrivain remarquable, non seulement par son style, mais aussi par la vision de l’État qui se fait jour à travers son œuvre ; car César ne cesse de commenter son action au fur et à mesure de son déroulement, il ne sépare pas l’action de la réflexion, et ses Commentarii sur la guerre des Gaules et la guerre civile constituent des documents particulièrement précieux pour observer le travail de la conscience du général et de l’homme d’État, dans les périodes où son pays connaît les convulsions les plus violentes de son histoire.

Car pour bien comprendre l’action de César et bien juger de la valeur de ses commentaires, il faut avoir présent à la conscience l’effroyable violence que connut cette période de la guerre civile, et pour cela rappeler avant toute chose ce que nous en dit l’historien grec Appien (II, 15, 101-102) : « Un dénombrement de tous les citoyens ayant eu lieu par ses ordres, la population se trouva, par la guerre civile, réduite à moins de la moitié. »

Toutes questions de racisme et d’idéologie mises à part, le massacre auquel s’est livré César dans la population romaine pour s’assurer de la totalité du pouvoir se rapproche du génocide des Juifs accompli sous les ordres d’Hitler (6 millions de morts pour 9 millions de personnes en Europe, soit les deux tiers de la population). La prise du pouvoir à Rome par Jules César a été payée par la plus grande tragédie de l’histoire romaine. Mais cela n’a pas entamé la bonne conscience de son auteur.

Cicéron rapporte qu’il avait souvent dans la bouche ce vers d’Euripide : « S’il faut violer le droit, il ne le faut violer que pour régner. » (Suét., 30).



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Jules César

 

III - Esprit et déraison, quatre chapitres également :

10 - Le Contrat social de Rousseau et les Leçons sur la philosophie de l'Histoire de Hegel

11 - Lorenzaccio de Musset

12 - Résurrection de Tolstoï

13 - Le procès de Kafka

Ce troisième volume étudie le développement du conflit entre les exigences de la liberté individuelle et la structure de plus en plus oppressive de l’appareil d’État, de la fin du XVIIIe siècle à l’aube du XXe, à travers Le contrat social de Rousseau, la philosophie de l’histoire de Hegel, Lorenzaccio de Musset, le roman de Tolstoï, Résurrection, dans lequel l’auteur russe pose les principes de la non-violence, et Le procès de Kafka, sans doute le roman qui illustre le mieux la difficulté d’être de la conscience individuelle dans nos sociétés modernes.

 

Introduction au chapitre X : 

Dans le Discours sur l’origine de l’inégalité, Le contrat social et les Leçons sur la philosophie de l’histoire,Rousseau et Hegel abordent tous deux la question des rapports entre l’homme et l’État, et de la violence de l’État, mais chacun d’une manière très différente, opposée à celle de Machiavel, qui posait le problème en termes de stratégie politique ; Rousseau aborde le problème en constitutionnaliste : pour lui, comme pour Platon, il y a à tirer, de l’exemple de l’histoire et des peuples, des principes de droit permettant d’établir la meilleure constitution possible. Le problème de la violence de l’État et de la conscience humaine doit se régler par un contrat social. Hegel aborde le problème de manière radicalement opposée : il n’y a pour lui rien à tirer de l’exemple de l’histoire, parce que chaque État est une entité entièrement nouvelle, qui se crée sur ses propres bases.

Eu égard à l’histoire, il convient de remarquer que, de cela, rien ne peut être appris pour la constitution politique, parce que l’État est la rationalité dans le monde, la rationalité étant là. Les différentes constitutions se suivent donc dans la diversité de leurs principes, et elles sont toujours telles que les principes antérieurs sont supprimés par ceux qui suivent. (PH, p. 174.)

La question, pour lui, est celle du développement dialectique de l’Esprit dans l’histoire, l’Esprit étant ce qui est, l’État étant ce qui est là. On peut légitimement s’interroger sur la légitimité de ce refus du constitutionnalisme historique de Rousseau, eu égard aux propres principes de Hegel lui-même. Certes, nous aurons l’occasion de le voir, le développement historique de l’Esprit dans l’histoire suit dans sa pensée un mouvement qui peut être comparé à celui de l’action de la Providence. Cependant, si l’on admet les principes hégéliens suivants - que nous aurons l’occasion d’étudier de plus près dans la suite - à savoir premièrement que l’homme est à la fois libre et responsable, deuxièmement que tout ce qu’il y a de raison dans l’histoire n’est apporté que par celui qui l’observe, et troisièmement que c’est l’action humaine qui effective, volans nolans, le développement de l’Esprit dans l’histoire, on ne voit pas pourquoi dès lors la réflexion de l’homme sur le meilleur régime politique possible ne constituerait pas précisément une des causes contingentes mais nécessaires de ce développement. On voit d’ailleurs très bien sur cette question et sur l’interprétation qu’on peut en faire, une des causes fondamentales de la scission entre hégéliens de droite et de gauche, les premiers préférant s’en remettre à l’autonomie de l’Esprit qui se développerait de lui-même dans l’histoire, et dans la conscience individuelle par la contemplation (nous traduisons ainsi le terme hégélien Anschauung) de celle-ci, les autres insistant sur la nécessité de l’action et du travail humain pour rendre effectif ce développement.


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Jean-Jacques Rousseau


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Georg Wilhelm Friedrich Hegel



IV - Le temps des monstres comprend deux chapitres :

14 - Sa majesté des mouches de W. Golding

15 – Si c'est un homme de Primo Levi et Rhinocéros de Ionesco.

Ce quatrième volume s’intéresse tout particulièrement à trois œuvres fondamentales traitant de la naissance et du développement de l’idéologie nazie à l’intérieur de consciences occidentales : Sa Majesté des mouches, écrit par William Golding, ancien officier de la Royal Navy ; Rhinocéros, de Ionesco, un témoin essentiel de la montée du fascisme en Roumanie ; et Si c’est un homme, de Primo Levi, survivant du camp d’Auschwitz, et qui nous a laissé une étude quasi scientifique du fonctionnement de la conscience nazie.

 



Extrait de l'Introduction du chapitre XV :

            Nous arrivons maintenant, dans ce dernier chapitre, à la période de l’histoire humaine la plus tragique de toutes probablement pour la conscience humaine, celle qui a vu se développer la forme d’État dont l’essor dans l’histoire pose les plus graves questions à la fois à la raison et à la conscience.

            Nous allons tenter ici une analyse de cette forme d’État à travers l’étude comparée de deux œuvres littéraires très différentes dans leur forme, mais assez proches dans leur thématique : Rhinocéros, d’Eugène Ionesco, et Si c’est un homme, de Primo Lévi ; la première est une pièce de théâtre écrite par un auteur roumain exilé en France du fait du fascisme, et la deuxième un témoignage de la vie dans les camps de concentration écrit par un ingénieur italien déporté en Pologne, à Auschwitz. La première relève donc de la fiction, et plus exactement de la fable, d’une manière qui peut être par bien des points rapprochée des fables de La Fontaine - on pense évidemment aux Animaux malades de la peste, mais aussi du roman de William Golding que nous venons de voir dans le chapitre précédent. Le deuxième ouvrage à l’inverse est un document historique, un témoignage authentique, dans lequel n’entre pas la moindre part de fiction, ce qui ne lui enlève évidemment rien de ses qualités littéraires. Les deux œuvres s’intéressent en priorité au fonctionnement de la conscience humaine dans un monde qui semble de plus en plus privé de raison, ainsi qu’aux rapports qu’entretient la conscience individuelle soit avec la masse de la foule dans la pièce de Ionesco, soit avec l’appareil de l’État dans l’œuvre de Lévi ; si le premier se demande plutôt : comment devient-on nazi ? Le deuxième cherche davantage à savoir : comment fonctionne-t-on quand on est nazi ? Mais dans les deux cas c’est bien la question des rapports conflictuels de la conscience humaine individuelle à la déraison collective et nationale qui est posée, car, dans les deux œuvres, la deuxième a bel et bien déclaré la guerre à la première.


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Eugène Ionesco


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Primo Lévi